L’humanité
connaît des changements historiques, mais peut-on dire pour autant qu’elle soit
en progrès, et celui-ci doit-il être conçu comme un processus unifié et
linéaire ? L’idée de « Progrès », au singulier, que l’on
attribue un peu hâtivement au siècle des Lumières, alors qu’elle a été surtout
théorisée au XIXe siècle, n’a cessé d’être critiquée depuis. Certes, ainsi que
Kant le notait lui-même, l’observation de l’humanité pourrait faire douter que
celle-ci avance vraiment vers un mieux. Le premier problème concerne la portée
des avancées techniques : certains contempteurs des progrès et innovations
techniques ne pensent pas que ceux-ci puissent apporter autre chose qu’un
bien-être matériel accru, ou un sentiment fallacieux de toute-puissance. On
peut d’ailleurs se demander si le progrès dans les différents domaines de
l’activité humaine dépend réellement de la volonté humaine. Il n’est pas sûr
que les progrès dans les connaissances et techniques, et a fortiori la simple croissance économique, nous rendent plus
libres, plus heureux, ou plus moraux. Toutefois, et c’est là un second
problème, l’idée de progrès moral ou politique peut à son tour être
critiquée ; elle expose au reproche d’ethnocentrisme, qui consiste à
évaluer les mœurs et institutions des autres sociétés à l’aune des nôtres, qui
sont alors jugées plus ou moins en retard par rapport à cette norme. Il
est nécessaire, pour dépasser ce reproche, de penser les conditions d’une
communication qui permette à certaines normes de progrès de circuler entre
différentes sociétés. Le but de ce cours est de partir des critiques
contemporaines de l’idée de progrès pour présenter de façon plus nuancée la
façon dont celui-ci a été théorisé et pensé depuis le XVIIIe siècle, à travers
quelques textes fondamentaux. Il s’agira par exemple d’établir des distinctions
entre les notions de progrès, d’évolution, de développement, de perfectibilité
ou de perfectionnement. L’idée d’un progrès moral, d’une évolution vers plus de
justice, voire plus de bonheur, ne suppose pas nécessairement une vision
linéaire, et encore moins ethnocentrique de l’évolution humaine. Il reste alors
à se demander comment se forment, historiquement, les normes à l’aune
desquelles on juge qu’un changement est un progrès.