L5I60522 - Décompositions et recompositions des organisations et des - Cours magistral
Chaque année, ce séminaire aborde un thème différent qui éclaire un aspect des mutations qui affectent les organisations et les milieux partisans, c'est-à-dire l'ensemble des réseaux qui ancrent les partis dans la société et les institutions publiques. La perspective est résolument comparative.
Le principe est d’explorer ensemble un pan des recherches contemporaines de ce sous-champ de la science politique et des sciences sociales (histoire, sociologie, anthropologie…), en faisant lire et discuter par les étudiants des textes en présence de chercheurs et chercheuses invité.e.s les ayant produits ou les connaissant bien.
Cette année j'ai choisi de consacrer le séminaire à l'extrême-droite en élargissant la perspective aux analyses électorales, c'est-à-dire à l'interprétation des causes structurelles et des motifs et des motivations qui expliquent le vote en faveur des partis d'extreme-droite. Ce choix est bien sûr guidé par l'actualité politique. En France, le RN vient consécutivement d'arriver largement en tête des élections européennes (31,37%) et de faire élire un nombre record de députés (123) même s'il s'est heurté à un "front républicain" ; aux Pays-Bas, après avoir obtenu 23,5% des voix aux élections législatives en novembre dernier, le Parti pour la liberté (Partij voor de Vrijheid) de Geert Wilders a conclu, en juin 2024, un accord de gouvernement avec trois autres partis de droite et du centre qui lui a permis de prendre le contrôle de quatre ministères ; en Italie, premier pays d'Europe occidentale à confier, en octobre 2022, les clefs du gouvernement à une dirigeante néo-fasciste, Giorgia Meloni et son parti Fratelli d'Italia conservent une popularité record qui leur a permis d'arriver nettement en tête des élections européennes avec près de 29% des voix. En Allemagne, Alternativ für Deutschland, créée en 2013 sur une base économique libérale et eurosceptique et qui s'est muée après 2015 en un parti anti-immigration et anti-islam, vient juste d'arriver en tête aux élections régionales en Thuringe et talonne les chrétiens-démocrates en Saxe, un fait sans précédent depuis 1945.
Quasiment partout en Europe, des partis qu'on peut qualifier d'extrême-droite non seulement parce qu'ils se situent les plus à droite sur l'échiquier politique, mais parce qu'ils entendent remettre en cause certains des principes fondamentaux sur lesquels reposent les démocraties libérales (égalité d'accès aux droits sociaux entre nationaux et étrangers, droit d'asile, protection des libertés individuelles et collectives, indépendance de la justice, solidarité européenne...) connaissent des succès électoraux sans précédent et sont en mesure de peser sur l'agenda politique, même s'ils ne prennent pas directement part à l'exécutif.
Si leur émergence remonte aux années 1980 (la France, avec le Front National, fait figure de précurseur et de "modèle" pour les autres partis d'extrême-droite, suivie de l'Autriche avec le FPÖ de Jörg Haider dans les années 1990), et leur prolifération aux années 2000, tout se passe comme si la crise financière de 2008 et l'afflux des réfugiés en Europe au cours des années 2010 avaient décuplé leur audience électorale un peu partout.
L'"extrême-droitisation" de la compétition politique, si l'on désigne ainsi l'importance prise par les questions liées à l'immigration, à la sécurité, à la protection des frontières, à l'identité nationale dans les débats politiques et donc comme marqueurs des différences entre les partis, est un phénomène mondial qui s'exprime cependant très différemment d'un pays à l'autre. Dans certains cas, les partis installés reprennent ces thématiques à leur compte et parviennent à contenir, tant bien que mal, la progression de challengers d'extrême-droite (c'est par exemple le cas au Danemark – où les sociaux-démocrates arrivés au pouvoir en 2019 sur la base d'un programme de restriction des conditions d'accueil des réfugiés ont réussi à s'y maintenir en 2022, alors que dans le même temps le Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) s'effondre –, au Royaume-Uni avec UKIP mais au prix du Brexit ou des Etats-Unis où les dirigeants et élus du parti républicain se sont majoritairement résolus à soutenir Donald Trump à partir de 2015 et à endosser des positions de droite protectionniste, ultra-conservatrice et suprémaciste) ; dans d'autres, cette stratégie, qui a longtemps plutôt réussi, a fini par échouer (la France en fournit l'illustration) ; ailleurs encore, par exemple en Wallonie, un "cordon sanitaire" empêche non seulement le développement de tels partis, mais aussi l'extrême-droitisation du débat politique qui reste dominé par la question nationale ; enfin, dans des pays comme la Hongrie ou l'Italie, rien ne paraît pouvoir arrêter la conquête puis l'exercice du pouvoir par l'extrême-droite.
Les thématiques privilégiés par les différents partis d'extrême-droite varient par ailleurs d'un pays à l'autre et, d'une période à l'autre. Ainsi le Front National défendait à ses débuts une doctrine économique libérale et se montrait favorable à la construction européenne et à l'OTAN, vues comme autant de remparts contre le communisme avant de se montrer plus protectionniste et de devenir eurosceptique. Le conservatisme moral n'y a par ailleurs jamais été dominant, expliquant l'émergence régulière de partis concurrents puisant directement leurs références dans le catholicisme traditionaliste, comme l'illustre la candidature d'Eric Zemmour en 2022 et avant lui celle de Philippe de Villiers à diverses reprises.
Plutôt que de survoler ces différents cas, le séminaire va se focaliser sur le Front National devenu Rassemblement national en mai 2018, tout en consacrant deux séances en forme d'ouverture comparative, à l'extrême-droitisation du champ politique en Amérique latine, respectivement au Chili (séance n°1) et à l'Argentine (séance n°7), profitant ainsi de la présence à Paris d'Alfredo Joignant, professeur à l'Université Diego Portales (Santiago) et de Gabriel Vommaro, professeur à l'Universidad national de San Martin (Argentine).
L'Amérique latine, après la vague de démocratisation du début des années 1980 mettant un terme à des années de dictature militaire, a longtemps semblé un territoire peu propice au développement de partis d'extrême-droite. Cependant, l'élection de Jaïr Bolsonaro au Brésil en 2018 a marqué un tournant. En Argentine, l'élection présidentielle de 2023 a vu l'arrivée au pouvoir de Javier Milei, non seulement libertarien sur le plan économique, mais ultra conservateur sur le plan moral (opposition à l'avortement, rejet de l'éducation sexuelle, soutien au port d'armes, condamnation du "marxisme culturel"), climato-sceptique et adepte d'une politique autoritaire (répression des mouvements de protestation) qui lui ont valu, en mai 2024, d'être l'invité d’honneur d’une convention du parti d'extrême-droite espagnol Vox à Madrid. Au Chili, après les mouvements de protestation de 2019 qui ont abouti à l'élection d'une convention citoyenne constituante en 2020 et à l'élection d'un candidat de gauche radicale à la présidence fin 2021, Gabriel Boric, le rapport de force politique s'est retourné au profit d'un parti d'extrême-droite, le parti républicain qui a remporté en 2023 35% des sièges au sein de la nouvelle Assemblée constituante, suivi par une coalition ultraconservatrice (Chile Seguro), 21%. Le parti républicain a été fondé en 2019 par José Antonio Kast, un avocat ancien membre du parti longtemps pro-Pinochet (Union démocratique indépendante, UDI) qu'il a quitté au motif que ce parti s'était montré trop critique à l'encontre de l'ancien dictateur. Le parti républicain promeut des valeurs religieuses néo-conservatrices et hétéro-patriarcales, s'oppose au mariage pour tous, à l'avortement et l'éducation conservatrice dans les écoles et critique sévèrement l'afflux d'immigrés vénézuéliens, tout en défendant une politique économique néo-libérale, telle que mise en place pendant le régime de Pinochet (1973-1983).
Le Chili et l'Argentine offrent deux contre-points intéressants pour penser à la fois les points communs mais aussi les divergences avec la situation française et européenne, tout en s'interrogeant sur la circulation internationale de certaines manières de mobiliser les électeurs et de certaines thématiques.
Les autres séances du séminaire seront consacrées à la présentation des recherches consacrées au FN/RN, en privilégiant les travaux réalisés par de jeunes chercheur.e.s dans le cadre de leur thèse. Nous commencerons cependant à aborder le sujet par une séance en forme de retour sur 40 ans de recherches sur le Front National (séance n°2) avec sa meilleure spécialiste française, Nonna Mayer, directrice de recherches du CNRS émérite, qui a beaucoup scruté les motivations de ses électeurs, mais qui aussi mené des recherches sur ses militants. Nous conclurons (séance n°10) de même ce séminaire avec deux autres collègues émérites, Patrick Lehingue et Bernard Pudal, qui mettent la dernière touche à un livre de synthèse sur le sujet où l'on reviendra sur les causes qui expliquent la précocité, la longévité et la force exceptionnelles de ce parti dans notre pays.
Entre ces deux séances nous accueillerons de nombreux et nombreuses jeunes doctorant.e.s : Safia Dahani qui a consacré sa thèse à l'organisation et les dirigeants du FN-RN, Estelle Delaine qui a étudié l'action et les usages du Parlement européen par ses eurodéputés, Félicien Faury qui vient de publier un ouvrage sur les motivations des électeurs du RN mais qui s'est également intéressé dans sa thèse à ses militants, Marion Jacquet-Vaillant qui a étudié les militants du Bloc identitaire et récemment l'entreprise politique d'Eric Zemmour (Reconquête), Valentin Guéry qui a consacré sa thèse à une socio-histoire de la prise en charge des activités physiques et sportives par le FN/RN depuis 1972 dans laquelle il a notamment étudié les politiques mises en oeuvre dans plusieurs municipalités contrôlée par l'extrême-droite et enfin Guillaume Letourneur qui a analysé les modalités d'ancrage du FN dans deux départements à dominante rurale, la Mayenne et l'Yonne et auprès de qui interviendra également Alexis De Brito qui mène actuellement sa recherche doctorale sur les ouvriers d'une région viticole assez prospère dont il observe notamment le glissement d'un vote en faveur du PS à un vote en faveur du RN.
Les séances, hormis la première, démarreront par un exposé de trente minutes préparé par un.e ou deux d'entre vous à partir de la bibliographie indiquée. Chaque exposé devra ensuite être transformé en un document écrit de 15-20 pages remis à la fin du semestre tenant compte de la discussion. C'est ce double travail (oral et écrit) qui servira à évaluer le séminaire. Un texte sera également proposé à tous les participants au séminaire comme lecture obligatoire afin de permettre les échanges les plus riches et informés possibles avec le, la ou les invité.e.s. Si le nombre d'exposés est inférieur pour permettre à toutes et tous de faire une présentation orale, un travail compensatoire sera proposé sous la forme d'un travail écrit.
Vous trouverez sur cet EPI les fichiers de nombreux ouvrages de référence. Tous ne sont pas disponibles. Vous trouverez ceux-ci pour la plupart à la bibliothèque Jacques Lagroye (Sorbonne, aile Cujas). Les articles cités sont soit dotés d'un lien direct permettant d'y accéder par un clic, soit sont fournis.
Informations sur l'espace de cours
Nom | Décompositions et recompositions des organisations et des |
Nom abrégé | UP1-C-ELP-L5I60522-03 |
Enseignants | Sawicki Frederic |
Groupes utilisateurs inscrits | Consultation des ressources, participation aux activités :
|
Rattachements à l'offre de formation
Élément pédagogique | UP1-C-ELP-L5I60522 - Décompositions et recompositions des organisations et des |
Chemin complet | > Année 2024-2025 > Paris 1 > Science politique > Master 2 indifférencié TDC - Enquêtes, études, expertise > Semestre 3 EEE > UE1 Enseignements de spécialité > Décompositions et recompositions des organisations et des |