Anthropologies

Plutôt qu’interroger les bases épistémologiques ou les instruments de méthode de l’anthropologie, savoir ayant un statut scientifique à part entière, nous nous proposons de questionner tout au long du semestre différents projets anthropologiques, à partir de leur portée plus proprement conceptuelle. L’anthropologie comprise comme une branche de la philosophie (le discours rationnel et argumenté qui porte sur l’Homme en général) s’est autonomisée, à la fin du dix-neuvième siècle, comme le savoir des « sociétés primitives ». Si la naissance de l’anthropologie comme discipline autonome semble soumise, dès le départ, aux exigences de l’évangélisation et de la colonisation, elle mobilise, tout au long du vingtième siècle, un effort conceptuel considérable visant à reconstituer les modes de fonctionnement, les lois et les principes d’une pensée des autres. D’objet d’une connaissance prétendument scientifique, les « primitifs » deviennent les sujets d’une connaissance autre. C’est ce déplacement fondamental que nous voudrions étudier dans la première partie du cours.

La rencontre avec des pratiques magiques, religieuses ou politiques apparemment incompréhensibles a amené les penseurs que nous étudierons à multiplier les lois de la logique, mais aussi la définition de la causalité, de l’espace et du temps, de la technique et du soin. Avec, comme conséquence, que le partage entre nature et culture, les règles de l’échange économique et les normes de l’exercice du pouvoir caractérisant notre modernité occidentale finissent par perdre de leur universalité. Certains anthropologues osent, aujourd’hui, multiplier les mondes, remettant en cause la thèse du relativisme culturel qui semblait l’acquis inattaquable de la lutte contre les discours pseudo-scientifiques de la race.

 

 

Bibliographie indicative

 

Emmanuel Kant, Die Anthropologie in pragmatischer Hinsicht (1796), tr. fr. Anthropologie du point de vue pragmatique, préfacé et traduit de l’allemand par Michel Foucault, Vrin, 1994.

Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912).

Lucien Lévy-Bruhl, La mentalité primitive (1922).

Ernst Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen (1924), tr. fr. La philosophie des formes symboliques. 2. La pensée mythique, traduit de l’allemand par Jean Lacoste, Les Éditions de Minuit, 1972.  

Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, introduction par Claude Lévi-Strauss, PUF, 2013.

Ernesto De Martino, Il mondo magico. Prolegomeni a una storia del magismo (1948), tr. fr. Le monde magique, préfacé et traduit de l’italien par Giordana Charuty, Éditions Bartillat, 2022.

Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté (1949).

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale (1958).

Claude Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui (1962).

Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage (1962).

Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs. Essai de psychologie historique (1965).

Michel Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines (1966).

Pierre Clastres, La société contre l’État. Recherches d’anthropologie politique (1974).

Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne (1989).

Eduardo Viveiros De Castro, Cosmological Perspectivism in Amazonia and Elsewhere. Four lectures given in the Department of Social Anthropology, Cambridge University (1998).

Eduardo Viveiros De Castro, Métaphysiques cannibales (2009