La phénoménologie, l’un des courants philosophiques les plus importants du XX^ème siècle, entend renouveler notre compréhension du monde en faisant retour vers les expériences vécues (les « phénomènes ») au sein desquelles les choses et les autres êtres humains, les valeurs et les vérités mathématiques, nous apparaissent. Ces « phénomènes », aux yeux de la phénoménologie, ne forment pas un flux chaotique et ineffable, mais sont au contraire passibles d’une description rigoureuse qui en dévoile la teneur précise et les structures essentielles. Edmund Husserl, le père de ce mouvement, cherche ainsi à mettre en évidence comment chaque acte de conscience est « intentionnel » en tant qu’il « vise », ou « se dirige sur », son objet spécifique – comment la perception sensible, par exemple, « vise » une table, comment l’émotion « vise » la beauté d’une sculpture, etc. Dans ce cadre, la phénoménologie introduit une double rupture vis-à-vis de la tradition philosophique : d’une part, elle revendique être la première à avoir reconnu et exploré, de manière systématique, ce nouveau continent que représente la vie infiniment variée de la conscience ; d’autre part, dans le cadre de son retour aux expériences elles-mêmes telles qu’elles sont vécues, elle affirme mettre « hors-circuit » l’ensemble des théories et des visions philosophiques du passé et les préjugés qu’elles véhiculent.

Est-ce à dire, cependant, que la phénoménologie est indifférente, voire ignorante, vis-à-vis de l’histoire de la philosophie ? Certainement pas ! Pour le montrer, ce cours adoptera pour fil conducteur les leçons que Husserl professe à Fribourg en 1923/24, intitulées « Philosophie première » (Erste Philosophie). Ces leçons proposent en effet une relecture « située » de l’histoire de la pensée, et cherchent à établir que la phénoménologie est la seule réalisation possible de l’idéal de raison absolue et universelle que la philosophie porte en elle depuis son commencement. Dans une première partie du cours, nous verrons ainsi comment Husserl se réapproprie, de manière critique, chacune des figures majeures que sont Platon, Aristote, Descartes, Hume, Kant, et Brentano – ce qui permettra, de surcroît, de jeter une lumière neuve sur les idées fondamentales défendues par ces auteurs. Nous verrons alors, dans une seconde partie, comment cette réappropriation historique permet d’informer et d’illuminer les concepts et les thèses essentiels de la phénoménologie husserlienne, notamment la doctrine de « l’idéalisme transcendantal ». Enfin, le dernier temps du cours cherchera à esquisser comment la pensée de Husserl est à son tour reprise et critiquée par le mouvement phénoménologique ultérieur (Scheler, Heidegger, Merleau-Ponty ...).