Topic outline
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Ancrages sociaux des conflits armés
M2 PCAMO
2024-2025
JEUDI 13H-16H
Centre Panthéon salle 54
Florence Brisset-Foucault
Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Institut des mondes africains (IMAF)
Florence.Brisset-Foucault@univ-paris1.fr
Ce séminaire vise à fournir les bases d'une meilleure compréhension des dynamiques de conflits armés en Afrique, et dans une moindre mesure au Moyen Orient, ainsi que des transformations sociales, politiques et économiques qu'ils entrainent et dont ils se nourrissent. Il adopte un angle d'approche ouvertement « interniste », en s'intéressant au plus près - grâce aux outils de l’histoire sociale, de la sociologie politique et de l’anthropologie - aux acteurs et actrices qui participent à ces guerres ou qui sont affecté.e.s directement par elles. L'un des principaux objectifs est de mieux comprendre l'ancrage de la violence armée dans la société : comment les dynamiques de conflit armé procèdent, se nourrissent, affectent, des dynamiques politiques, économiques, et des divisions sociales locales. Cela, sans pour autant considérer ces guerres comme des phénomènes décrochés du reste du monde : les dynamiques de conflit qui nous intéressent étant au contraire profondément extraverties. On s'attachera justement à comprendre de manière plus précise les modalités et les effets de la transnationalisation des dynamiques de violence armée.
Loin d'être un moment de l'exceptionnel, de l'anomie ou de l'irrationalité, les guerres demandent à être analysées sous l'angle de ce qu'elles doivent à des ordres sociaux, des savoirs et des représentations préalables, qui doivent être interrogés sociologiquement. Le recours à la violence armée s'inscrit dans des stratégies et des trajectoires d'acteurs (de survie, de résistance, d'accumulation, d'ascension sociale et politique). A rebours des grandes mises en récit téléologiques ou dépolitisantes, qu'elles soient nationalistes, humanitaires ou religieuses, on s'attachera à reconstituer les rationalités plurielles, les sens multiples de la violence, et les dynamiques sociales dont les guerres sont le théâtre et les productrices. On s'interrogera sur les continuums qui peuvent exister entre pratiques routinières des temps de « paix » et pratiques guerrières.
Organisation:
Le séminaire comprend 10 séances de 3h découpées par grandes thématiques, au cours desquelles différentes études de cas seront abordées, issues de tout le continent (Afrique du Nord, de l’Est, de l’Ouest, Afrique australe, centrale, Corne), et de différentes périodes de l’histoire, de manière comparée avec d’autres conflits armés d’Amérique latine, d’Europe, d’Asie et du Moyen Orient. L’approche du séminaire est fondamentalement comparatiste, à rebours de toute essentialisation des « conflits armés africains », et nous ferons largement usage de littérature et de documents produits à partir d’études de cas étrangères.
Modalités de travail et d’évaluation :
Chaque semaine, tous les étudiant.e.s lisent un texte académique sélectionné par l’enseignante. Cet exercice est absolument incontournable. La lecture doit être critique et approfondie : il faut absolument être en mesure de restituer les apports du texte, empiriques, théoriques, de le situer dans la littérature/l’historiographie, de résumer ce qu’il apporte à la compréhension des conflits armés et les questions qu’il permet de poser au-delà de l’étude de cas. En quoi est-il intéressant, novateur ? Quelles sont les comparaisons possibles avec d’autres cas ? Quelles sont ses limites ? La participation est évaluée et fera l’objet d’une note individuelle (30%). Même si elle n'est pas "ramassée", il est fortement conseillé de faire une "fiche" sur chaque texte.
Pour le reste du travail, le semestre est divisé en 2 temps.
I.
Lors de la première séance, les étudiant.e.s seront regroupé.e.s en petites équipes de 2 personnes (grand max 3, s'il y a beaucoup d'inscrits).
Lors des séances 2, 3, 4, 5 et 6, les étudiant.e.s devront contribuer à l’élaboration d’une base de données commune. Chaque semaine, chaque duo d'étudiant.e.s choisira une référence qui pourra être : un article de presse, de blog, une publication académique, un thread sur les réseaux sociaux, un podcast, un documentaire, un film de fiction, un roman etc. (idées bienvenues) en lien avec les thématiques ou les études de cas du jour (voir paragraphe de description dans l'EPI pour chaque séance). Il/Elle devra rajouter cet élément dans un dossier partagé Zotero, et rédiger un court paragraphe (1000 signes environ) expliquant en quoi cet élément est intéressant pour notre thématique. Cela permettra de travailler sur vos capacités à trouver de bonnes sources, ainsi qu’à les présenter de manière synthétique et dynamique. Cela permettra aussi de nourrir la discussion en séminaire, et de créer et gérer une bibliothèque commune sur un outil numérique très utilisé dans les milieux académiques et au-delà. Nous nous familiariserons avec Zotero lors de la première séance. Ce travail (qualité des sources mobilisées, qualité de leur présentation en classe) fera l’objet d’une note (35%).
QUELQUES INDICATIONS POUR UTILISER ZOTERO
Notre groupe a pour nom ASCA 2024-2025
Il peut être trouvé à l'URL suivant :
https://www.zotero.org/groups/5654062/asca_2024-2025Mon nom sur Zotero est FBFP1. Je vous enverrai une invitation pour rejoindre le groupe.
Après avoir cliqué sur l'URL du groupe, vous devrez créer un compte gratuitement sur Zotero mais vous n'êtes pas obligé.e de télécharger le logiciel.
Il faut ensuite cliquer sur "group library". Une fois sur la page "group library", sur la gauche vous verrez des onglets avec les noms des séances. Pour rajouter votre référence, il faut cliquer soit sur le gros "+" soit sur la baguette magique et ajouter un DOI ou une URL (ce qui ne marche pas à chaque fois: il faut parfois rajouter les détails à la main) Veillez à ce que les références soient bien renseignées précisément dans la colonne de droite (onglet "infos"). Si vous chargez un fichier (onglet "attachements"), veillez à ce que son nom soit clair et compréhensible. Veuillez rédiger votre paragraphe d'explication et de justification du choix de cette référence dans l'onglet "notes", toujours à droite et NE PAS OUBLIER de faire figurer "Ajouté par PRENOMS, NOMS" (si vous ne mettez pas vos noms je ne pourrai pas vous noter xx-P). Ce paragraphe doit résumer rapidement l'apport de la ressource et insister sur la manière dont elle permet de penser la problématique du jour, en lien notamment avec la lecture obligatoire.
II.
Chaque groupe devra réaliser une note de recherche problématisée sur une étude de cas, à rendre à la fin du semestre (20 000 signes par groupe de 2, 30 000 par groupe de 3, sans compter la bibliographie, voir ci-dessous pour des insignes plus précises sur cet exercice). Vous trouverez les sujets proposés ci-dessous. A partir de la séance 7, nous ferons un bilan d’étape avec chaque groupe (deux ou trois par séance). Ce bilan d’étape n’est pas un exposé, dans le sens qu'il ne doit pas faire l’objet d’une présentation formelle avec plan etc. Cependant, les étudiant.e.s du groupe concerné devront l’avoir préparé avec grand soin afin qu’il soit utile à toutes et tous. Ces bilans d’étape ont en effet vocation à accompagner les étudiant.e.s dans l’élaboration d’une recherche et à faire profiter toute la classe de la mise à nu du processus de définition d’un sujet, de recherche bibliographique, documentaire et de mise en forme d’une problématique. Contrairement, donc, à un exposé, il s’agira, le plus souvent, d’arriver davantage avec des questions (bien construites et informées) que des réponses. Afin que cela soit efficace, ces bilans devront faire au préalable l’objet d’un écrit de quelques pages (2 ou 3 pas plus), résumant les avancées, et envoyés à toute la classe au plus tard 48h avant la date du séminaire. CET ENVOI EST INDISPENSABLE. Ce travail (qualité du rendu final de la note de recherche et qualité du bilan d’étape) fera l’objet d’une note (35%). A RENDRE POUR LE 5 JANVIER INCLUS.
SUJETS A CHOISIR PAR GROUPES : CE SERA À VOUS DE PROBLÉMATISER PLUS PRÉCISÉMENT ! Des conseils plus précis sur la manière de procéder seront données lors de la première séance:
Les paramètres de la diffusion du djihadisme: le cas du BéninBiographies sociologiques croisées de deux hommes ou femmes en armes (possibilités de multiplier le sujet si plusieurs groupes)- Le Caire, Alger, Dar es Salaam: "hubs" des mouvements armés de libération: Riyad NAIDJ, Elena LAHBABI
- La production de savoirs sur Boko Haram: acteurs, méthodes, enjeux sociaux: Ambre PELISSIER, Alicia NOCCHI
- Les modalités et les effets de la mutation d’un groupe armé en parti politique: Louison GIRARD, Rosanne (Hezbollah), Ruben HUGUES, Furkan YILMAZ (Hamas)
Relire l’histoire et la sociologie politique d’une guerre à travers celles d’une ville: l'exemple de KhartoumRelire l’histoire et la sociologie politique d’une guerre à travers celles d’une ville: l'exemple de Mekelle- Guerre et espaces ruraux: économie, topographie, conflits fonciers: Marta PEROTTI, Marius VIAUD
- La fabrique des archives d'une guerre: quand les acteurs documentent et mettent en mémoire: Jules FISCHER, Lilia AZEGGAGH / Celian MARTIN, Moira BIAUD
- Défense de la nature et lutte armée: articulations et contradictions: Simon BOUTELOUP
Sociologie des acteurs de l’extraversion des groupes armés: intermédiaires, interprètes et formateurs- Les effets de la guerre sur le champ culturel: Homogénéisation? Politisation? Soumaya BENAMEUR, Mathis BORNY
- Les effets de la guerre sur le champ médiatique: Homogénéisation? Politisation?: Michelle KENGNE, Mila ROUILLY
- Economie rebelle: ressources, pratiques et savoirs gestionnaires: Amine EL BASSIMI, Faustine AMARD
- Lorsque la guerre devient « normale »: nouveaux habitus et processus d’institutionalisation: Valentine SOUWE, Camille Bonnin / Kenza BENYAHIA, Safinaz REFAI,
- Judiciarisation des conflits armés, le cas des "enfants soldats": Chris KALAVA, Gabrielle MABANDZA / Sumire HAYAKAWA IVANOVIC, Mounir BOUTGAJOUFT
- Barrages, barricades et check points: Lisa GRAILHE, Thérèse GONNIER
CONSIGNES POUR LA NOTE DE RECHERCHE PROBLÉMATISÉE
La note de recherche vise à vous exercer à élaborer un sujet de recherche en fonction de ce qui a déjà été produit par la recherche académique sur un objet similaire, le terrain choisi, et les principales notions de sciences sociales que vous allez mobiliser, d'élaborer une question de recherche relevant de la science politique (entendue de manière large), question qui vous est propre, et de la traiter sur la base de sources secondaires.
L'une des premières exigences pédagogiques est donc de vous familiariser avec les différentes "bibliothèques" pertinentes pour penser l'objet choisi: par ex. si vous aviez un sujet sur la formation des masculinités dans le conflit au Mozambique, il faut que vous soyez familiarisé avec les débats et un certain nombre de travaux sur la notion de masculinité, en particulier mais pas uniquement en contexte de conflit armé (au-delà de l'étude de cas choisie, afin d'introduire une dimension comparée à votre réflexion); que vous soyez familiarisé aussi avec la littérature et les débats historiographiques sur la guerre civile au Mozambique; et sur l'histoire sociale et politique du Mozambique de manière générale. Parmi ces différentes bibliothèques, il faut savoir expliquer pourquoi ces notions et ces terrains ont été traités par la recherche de telle ou telle façon, identifier des travaux qui vous paraissent particulièrement stimulants, ou novateurs, expliquer pourquoi et identifier aussi des angles morts. C'est ce qui s'appelle un état de l'art.
Dans cet exercice, il faut aussi montrer que vous savez vous approprier un sujet, et reformuler celui proposé par l'enseignant.e dans des termes plus précis, selon vos propres intérêts, sans pour autant le dénaturer et basculer dans le hors sujet. Il faut "opérationnaliser" le sujet donné par l'enseignant.e. Donc, si ce n'est pas déjà imposé par le sujet, choisir une ou deux études de cas (terrains: pays, régions, localités), un angle thématique plus précis, et enfin une problématique (qui croise étude de cas et questionnement théorique) et bien justifier ces choix scientifiquement (en vous appuyant sur l'état de l'art).
Troisième étape: il faut réunir la documentation nécessaire pour répondre à la question que vous soulevez à travers votre note: articles scientifiques rapports d'ONG, de think tanks, sources de presse. Attention à ne pas mobiliser que des sources occidentales ! Bien évidemment, ces sources secondaires (y compris les articles académiques) doivent être abordés de manière critique: il faut bien les situer dans leurs champs respectifs et en tirer des conséquences sur les possibles biais qui en découlent.
Vous trouverez des exemples de bonnes notes critiques de l'an dernier à la fin de l'EPI.
Bon courage !o0o
Crédit Image: Combattantes du TPLF, Memorial Museum, Mekelle. -
Références biblio mobilisées pour la séance
Baczko, Adam, et Gilles Dorronsoro. « Pour une approche sociologique des guerres civiles », Revue française de science politique, vol. 67, no. 2, 2017, pp. 309-327.
Richards, Paul, "New War. An Ethnographic Approach", in Paul Richards (ed.), No peace, no war: the anthropology of contemporary armed conflicts, Oxford, James Currey, 2005, pp.1-21.
Gayer, Laurent. « La « normalité de l’anormal » : recomposer le quotidien en situation de guerre civile », Critique internationale, vol. 80, no. 3, 2018, pp. 181-190.
« Pour des études indépendantes sur la guerre », Carnets de la revue Zilsel, 30 mai 2018: https://zilsel.hypotheses.org/3052
Et le droit de réponse: « Droit de réponse : la parole à la défense », 7 juillet 2018: https://zilsel.hypotheses.org/3071
Pour une argumentation plus longue: Boncourt, Thibaud, et al. « Que faire des interventions militaires dans le champ académique ? Réflexions sur la nécessaire distinction entre expertise et savoir scientifique », 20 & 21. Revue d'histoire, vol. 145, no. 1, 2020, pp. 135-150.
Collectif, "Le Mali ne doit pas devenir un fond de commerce pour les apprentis sorciers de la géopolitique", Le Monde, 28 mai 2019:
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/05/28/le-mali-ne-doit-pas-devenir-un-fonds-de-commerce-pour-les-apprentis-sorciers-de-la-geopolitique_5468759_3212.htmlKoen Vlassenroot, « War and Social Research », Civilisations, 54, 2006, p.191-198.
Clair Isabelle « Faire du terrain en féministe », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 213, 2016, p. 66-83.
Debos, Marielle. « Genre, sécurité et éthique. Vade-mecum pour l'enquête de terrain », Critique internationale, vol. 100, no. 3, 2023, pp. 59-73.
Adam Baczko and Gilles Dorronsoro,"The Ethical, Epistemological and conceptual need to resume fieldwork", 19 Nov 2020, Social Science and Research Council,
https://items.ssrc.org/covid-19-and-the-social-sciences/social-research-and-insecurity/the-ethical-epistemological-and-conceptual-need-to-resume-fieldwork/
Mark Duffield (2014) From immersion to simulation: remote methodologies and the decline of area studies, Review of African Political Economy, 41:sup1, S75-S94, DOI: 10.1080/03056244.2014.976366
Twitter thread by Vincent Foucher on the use of data bases to produce knowledge on Boko Haram: https://twitter.com/VincentFoucher/status/1708080049176420813Marsha Henry, “Ten Reasons Not To Write Your Master’s Dissertation on Sexual Violence in War”, The Disorder of Things, 4 juin 2013 https://thedisorderofthings.com/2013/06/04/ten-reasons-not-to-write-your-masters-dissertation-on-sexual-violence-in-war/
Dennis Rodgers, Kees Koonings & Dirk Kruijt (eds.) Ethnography as Risky Business: Field Research in Violent and Sensitive Contexts, Lanham: Lexington Books, 2019.
Nicolas Jounin, Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, Paris, La Découverte, 2009.
Brabant, Justine. « Peut-on faire de la recherche au sein d'une ONG ? », Genèses, vol. 90, no. 1, 2013, pp. 42-61.
Site Internet: (Silent) Voices is a collective of researchers from the field of development and (post-)conflict studies working in Africa, Asia, Latin America and Europe who strive for an open dialogue on the practice of transnational collaboration in academic field research.
https://www.gicnetwork.be/silent-voices-about/
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Séance 2 – 3 octobre – Quels outils pour étudier la violence extrême : passages à l’acte et sens de la violence
En se focalisant sur la violence extrême, cette séance de séminaire vise à explorer les différentes ressources que nous offrent les sciences humaines et sociales, mais aussi la littérature, le cinéma de fiction ou documentaire, pour comprendre (voire peut-être expliquer) mais aussi transmettre des clés de compréhension de cette violence et des conflits armés lors desquels elle se déploie. Nous réfléchirons aux enjeux épistémologiques, méthodologiques, politiques et éthiques générés à la fois par l'étude, la documentation et la communication sur cette violence. Comment procéder, méthodologiquement? On pourra mobiliser des travaux focalisés sur les conflits armés (notamment tout un ensemble de travaux sur les "cultures de guerre" et la critique de cette notion, en particulier dans le contexte de la Première guerre mondiale) mais aussi dans des temporalités dites de "paix". La violence, y compris la plus horrifiante, a-t-elle un sens? Doit-on poser la question de cette manière, qu'est-ce que cela implique? L'exemple de conflits à la charge spirituelle très forte (Sierra Leone, Liberia, RCA, Ouganda, Syrie) et les travaux notamment anthropologiques auxquels ils ont donné lieu, sera l'occasion de reconstituer des univers de sens, et des contextes sociaux politiques au sein desquels elle s'est déployée. En effet, loin d'être le symptôme d'un effondrement de l'ordre, cette violence extrême peut en être le produit. Mais des travaux historiens portant sur des massacres en Europe, et notamment en France, devront également être mobilisés: ce type de violence étant loin d'être l'apanage d'une "africanité" ou d'un "Orient" (bien qu'elle soit souvent l'occasion de la mise en scène de l'altérité sur des registres bien sûr problématiques...). Cette séance sera aussi l'occasion de réfléchir à la question du "passage à l'acte" et de l'adoption de formes d'action violentes. Nous explorerons ou reviendrons ainsi sur des notions telles que la "carrière" ou la "radicalisation".
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Séance 3 – 10 octobre – Les terroirs locaux des guerres globales: de la guerre froide aux "arcs djihadistes"
Contre un "diffusionnisme paresseux", l'enjeu de cette séance est de comprendre les mécanismes de circulation géographique et sociale des mobilisations armées et de la transnationalisation des conflits. On analysera les conditions et les effets des articulations entre dynamiques locales, nationales et internationales dans les conflits armés. On s'intéressera bien sûr aux insurrections islamistes de ces dernières années, mais nous reviendrons aussi sur la période de la guerre froide, pour laquelle une historiographie très riche s'est développée. Peut-on parler de "satellisation" de groupes armés par les deux grands blocs? Comment la guerre froide s'articule-t-elle à des dynamiques de conflits locales? Quelle est l'influence des idéologies globales sur les dynamiques de mobilisation? Doit-on parler de concomitance, de similarités ou de diffusion? Comment prendre en charge sociologiquement des phénomènes de circulation (de personnes, d'idées, de matériel) et évaluer leur influence sur l'intensité et la forme des conflits?
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Cette séance cherche à ouvrir la boite noire des conflits au sein desquels la question de l’identité, et notamment de l’ethnicité, apparait centrale. A rebours de visions essentialisantes ou spontanéistes, nous analyserons ce que les mobilisations patriotiques ethniques recouvrent, en termes de débats autour des frontières et des modalités de l’appartenance, de la définition de la justice économique, du bon gouvernement, et des bons comportements. Nous interrogerons leurs articulations avec des mobilisations religieuses. Nous explorerons les liens entre champ politique et mobilisations « ethniques », et les fortes articulations que l’on trouve bien souvent avec les questions foncières. La violence armée se nourrit de tensions économiques, mais aussi politiques et culturelles, autour de la propriété, mais aussi des usages et de l'accès à la terre. Différentes études de cas se prêtent à cette grille de lecture: la Sierra Leone, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, la République démocratique du Congo, le Kenya et bien sûr l'Éthiopie en sont des exemples récents ou actuels importants (mais il y en a d'autres). Les guerres anti-coloniales du Kenya, du Cameroun ou de l'Algérie, avaient également une dimension foncière fondamentale. Au-delà de la question des conflits dits "inter-professionnels" entre éleveurs et cultivateurs, qui viennent s'articuler au champ politique, d'autres sources de conflictualité autour de la terre ont trait à des dynamiques coloniales toujours vivaces de dépossession massives, parfois réactualisées à travers les méga-projets de conservation (parcs nationaux) ou au contraire d'exploration des ressources naturelles (forestières, agricoles, en hydrocarbures). La question des hiérarchies sociales, des tensions entre générations et, en particulier, en Afrique de l'Ouest, les héritages de la servilité (origines serviles/libres/nobles), seront également abordées lors de cette séance. On verra comment bien souvent, la question de l’accès aux ressources (celles de l’Etat, et celles de la terre) s’articule à des débats profonds et violents autour des bases légitimes de cet accès. Se pose alors, dans des contextes de guerre civile comme de paix formelle (lors d'épisodes dits émeutiers notamment), la question de l’identification de ceux qui ont « droit » à ces ressources, et des modalités pratiques (parfois violentes) et des outils de cette identification: le rôle de l’Etat, d’institutions, d’organisations, mais aussi de collectifs aux degrés de formalisation divers (vigilantes) doit alors être analysé.
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Cette séance est à penser dans un ensemble avec celle consacrée aux dynamiques d'identification, et au genre. L'idée dans les trois cas est de penser les liens entre différenciation, identités et hiérarchies sociales d'une part, guerre et violence armée de l'autre. Dans quelle mesure et de quelles manières la guerre est-elle le produit ou le reflet d'inégalités ou d'antagonismes sociaux? Dans quelle mesure permet-elle de les lire à nouveaux frais? Dans quelle mesure et de quelles manières les reproduisent-elles, les accentuent-elles ou les atténuent-elles? Quel est le rôle des organisations et des institutions (l'armée, les mouvements armés entre autres) en ce sens? En clair, certains groupes armés favorisent-ils une dynamique plus niveleuse que d'autres? Quels sont les savoir faire, les capitaux (sociaux, économiques, mais aussi identitaires) qui sont valorisés, institués, objectivés? Quels sont les effets des situations de guerre sur la valeur des capitaux, leurs modalités et possibilités de conversion, à la fois pour les combattants, les dirigeants politiques et militaires, mais aussi les civils, dans toute leur diversité? Alors que la séance précédente a surtout permis de penser les hiérarchies sociales en amont des conflits, on observera aujourd'hui ce qui se joue au sein des organisations/institutions armées, et pendant la guerre. Ce sont non seulement les inégalités et les hiérarchies sociales et politiques qui nous intéressent, mais aussi les identités qui s'y raccrochent (de classe, d'ethnie, de race, puisqu'on s'interrogera sur le genre la séance d'après, même si les 4 sont évidemment interconnectés) : demeure-t-on le ou la même pendant et après la guerre? La première guerre mondiale en France offre une riche historiographie en ce sens, mais les travaux sur les mutations des partis politiques en mouvements armés en Afrique et au Moyen Orient, sur les hiérarchies internes à ces mouvements et leurs déterminants, sur la sociologie des guerres civiles en Afghanistan, en Syrie, en Irak, sur les paramètres de l'accumulation économiques en contexte de guerre (warlords) en Afrique centrale (Tchad, RDC entre autres) sont également très riches.
BILANS D'ETAPE
Groupe 3: Le Caire, Alger, Dar es Salaam: "hubs" des mouvements armés de libération: Riyad NAIDJ, Elena LAHBABI
Groupe 4: La production de savoirs sur Boko Haram: acteurs, méthodes, enjeux sociaux: Ambre PELISSIER, Alicia NOCCHI
Groupe 10: Défense de la nature et lutte armée: articulations et contradictions: Simon BOUTELOUP
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Rencontre avec l'équipe du projet ANR CoPE, Conflicts and Politics in Ethiopia: Sabine Planel (IMAF, IRD), Getaneh W. Chemeda (EHESS) et Yared Debebe (University of Gondar)
Descriptif du projet sur le site de l'ANR: "Ce projet vise à étudier les liens entre la(les) guerre(s) actuelle(s) en Éthiopie et les processus de territorialisation, la formation de l'État et la construction des identités. Il innove en envisageant la guerre civile comme un processus territorial dans lequel les conflits politiques et militaires révèlent des structures socio-territoriales profondes, ancrées dans des trajectoires historiques et participant à reproduire la domination et à la formation de l'État. Il travaille sur des "matériaux de proximité de la guerre", documentant les dimensions socio-territoriales et scalaires de la guerre civile, que la plupart des travaux universitaire ont négligées. La méthodologie reposera principalement sur une démarche qualitative, en privilégiant la pratique du terrain et de l'observation à long terme. Le projet est structuré en quatre axes qui aborderont la dimension conflictuelle de la territorialisation et la politisation des conflits territoriaux ; les contestations liées à l'ethnicité et à l'identité dans un contexte ethno-fédéral (devenu violent) ; la relation dialectique entre les contestations politiques et les débats théoriques sur les formes de la territorialité de l’État et l'évolution de la globalisation de l’Éthiopie."
Groupes 5 (Hamas), 5 (Hezbollah), 8 (espaces ruraux)
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Lors de cette séance, nous poursuivons notre réflexion sur les mutations, renforcements, remises en cause ou permanence de la différenciation et des hiérarchies sociales dans la guerre, en nous concentrant plus particulièrement sur les identités et les relations de genre. On abordera aussi bien des études de cas mettant en jeu des femmes combattantes, que le statut possiblement changeant des femmes à l'arrière, que la question de la construction, de l'altération, des mutations de la masculinité dans la guerre, que celle enfin (liée) des "économies libidinales" (J. Goodwin) des groupes armés. Que recoupe l'idée d'une "féminisation des groupes armés"? Comment la mesurer et l'appréhender? Les conflits armés sont-ils prônes à voir advenir des mutations voire des renversements des rapports hiérarchiques entre les sexes? De faire évoluer les définitions plus ou moins hégémoniques de la féminité et de la masculinité? La division des tâches? Les transgressions? L'idée d'une binarité? Et pour quels acteurs/quelles actrices? Ou au contraire viennent-ils renforcer l'ordre existant? On s'intéressera aussi à la manière dont la guerre affecte les intimités, les sexualités, et comment certains groupes armés essaient de les organiser, de les contrôler, voire d'en promouvoir certaines formes. La recherche sur les sexualités dans les conflits armés s'est beaucoup renforcée ces dernières années. Si une large part est produite dans une visée militante louable, une autre cherche à prendre du recul par rapport à des cadrages qui peuvent créer des automatismes intellectuels dont les implications et les effets demandent une certaine prudence. Par ailleurs, la littérature sur les viols de guerre ne se limite pas à l'Afrique centrale: une perspective comparée avec des travaux portant sur l'Europe des deux guerres mondiales ou encore la guerre d'Algérie, est porteuse de nombreux enseignements. Les ressources documentaires que les étudiant.es récolteront pourront porter sur tous ces différents aspects.
Les deux groupes 9 et 12 (champ culturel)
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Séance 8 - 21 novembre - Sociologie des corps habillés: armées, milices, mercenaires et coups d'Etat
Cette séance se concentre sur la sociologie des armées. A l'heure où le continent africain voit se succéder les coups d'Etat militaires, que nous apportent les sciences sociales pour comprendre ces évènements, leur irruptions, leurs issues contrastées? Au-delà de ces évènements, les questions de la composition sociale des forces armées, du processus d'institutionnalisation ou, au contraire, des dynamiques de dés-objectivation de l'institution militaire, celle de la formation (qui fait souvent intervenir l'extraversion), des hiérarchies internes, seront au coeur de nos réflexions. Mais les coups d'Etat ne doivent pas monopoliser l'attention de celles et ceux qui s'intéressent aux armées africaines: si ces dernières années ont vu se multiplier les coups d'Etat, elles ont également vu la floraison de missions africaines de rétablissement et de maintien de la paix - en Somalie, au Mozambique, au Darfour - qui occupent une place centrale dans les politiques de puissances de certains Etats du continent... Autre question fondamentale, celle de la nature et de l'intensité des liens entre militaires et civils (et quels civils), et des phénomènes de milicianisation de la vie sociale et politique. A travers l'analyse de ces institutions, c'est la question plus large des paramètres de la construction et de la formation de l'Etat qui peut être étudiée, que ce soit dans le passé (à travers notamment une historiographie de plus en plus riche des armées africaines en contexte colonial) ou dans le présent. La question de l'institutionnalisation se pose également de manière stimulante dans des contextes dits de "loyauté fluide" (Debos), où les passages entre armées officielles et groupes rebelles sont communs, passages bien incarnés par la figure du « sobel », néologisme formé de « sol(dier-re)bel » en Sierra Leone. De manière plus large, dans des espaces (Rwanda, Ouganda, Tchad) où le "métier des armes" est au coeur des modes de gouvernement (Ibid.), quels en sont les effets sur les pratiques et la sociologie du personnel politique? Enfin, on s'interrogera sur les imaginaires politiques que les armées et les militaires participent à générer et convoquent.
BILANS D'ETAPE GROUPES 13, 14, 15 (Mali)
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Séance 9 - 28 novembre - "Gouvernances rebelles": modes de gestion, savoirs politiques, institutionnalisation
Cette séance interroge le rapport au territoire et aux populations des rébellions armées. Elle s’attache à prendre acte de la variété des rapports de ces acteurs aux populations civiles, à la territorialité, et à la diversité de leurs modes de gestion des populations et des ressources. Mais elle vise également à expliquer ces variations. Certains groupes rebelles « gouvernent »: pourquoi, et pourquoi tous ne le font-ils pas de la même manière? Quels sont les influences de la nature du territoire, de sa géographie, des ressources qui s’y trouvent, de la socio-histoire des populations, de la sociologie des groupes armés eux-mêmes, de leurs rapports aux Etats ou aux gouvernements contre lesquels ils se battent, de leurs relations avec certains acteurs internationaux? Dans quelle mesure les rebelles "recyclent-ils" des institutions, des savoirs gestionnaires, des acteurs, des outils et des pratiques, existantes? Ou en "réinventent-ils" d'autres? Dans quelle mesure la « gouvernance rebelle » évolue-t-elle dans le temps? D’un point de vue plus théorique, comment appréhender ces pratiques, représentations, formes d’organisation? Dans quelle mesure peut-on parler d’Etat rebelle? Ou de formes non-étatiques de gouvernement? On s'intéressera à différentes pratiques régaliennes et "politiques publiques" mises en place par des groupes rebelles: justice, douanes, taxation, sécurité, exploitation et distribution des richesses, éducation... Ainsi qu'aux manières et aux degrés variés dont certains groupes ont intégré les populations civiles dans la gestion politique.
Groupe 15 et les deux groupes 16
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Cette séance est focalisée sur la question des ruptures et des continuités dans les ordres sociaux, politiques, économiques entre l'avant, le pendant, et l'après la guerre. On pourrait aussi réfléchir aux enjeux proprement politiques liés à l'établissement de telles périodisations par les acteurs sociaux: l'établissement de chronologies étant aussi une démarche profondément politique. Deux points nous intéresseront particulièrement: d'une part, la question de la permanence, dans la paix, de rapports de force, de manières de faire, de se comporter, de se définir en tant que groupe (religieux, ethnique), issues ou produites par la guerre, et sur les processus d'objectivation et d'institutionnalisation de ces dynamiques après la guerre. Quels sont les effets de la guerre sur les Etats post-conflits? Ce sont aussi les dispositifs souvent largement internationalisés, de "sortie de conflit" et de "pacification", de "DDR", de "réconciliation" qui nous intéresseront : quelles sont leurs genèses, comment sont-ils adoptés, appropriés? Quels sont leurs effets? On s'intéressera à différents dispositifs de ce type, relevant de la justice transitionnelle, de la "pacification par le bas", de la "médiation", du "power sharing" et à leur insertion au sein de champs politiques singuliers. Enfin, nous nous pencherons sur la question de la mutation et de la convertibilité des capitaux sociaux, culturels et économiques, ainsi que des savoir faire, entre le pendant et l'après la guerre à une échelle plus individuelle. L'une des questions empiriques qui nous intéressera particulièrement sera la dépendance du champ politique au champ militaire, dans les espaces post conflits, et la valeur du capital combattant dans le champ politique. Que deviennent les hommes et les femmes en arme après la signature d'accords de paix? Du point de vue de la sociologie des organisations et de l'Etat, c'est la question de la mutation de rebelles en dirigeants (rebel to rulers) et de groupes armés en partis politiques, qui occupera également nos discussions. Ainsi, de nombreux groupes armés se sont essayés au jeu électoral, avec plus ou moins de succès: qu'impliquaient ces reconversions en termes de répartition des forces en leur sein? Et dans quelle mesure la nature même des processus électoraux a-t-elle pu en être affectée? Nous nous intéresserons également aux sphères culturelles et à celles de l'intime: comment se réinsère-t-on dans une société officiellement pacifiée? A quels ajustements ces situations donnent-elles lieu en termes d'identités sociales?
Groupe 17